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Dispersions épistolaires et imagées! Bref, un peu de moi dans cette immensité numérique ...

Un souffle de vie - 2012 - concours de nouvelle

 

Un souffle de vie

 

 

− Jacques, mon chéri, dans cinq heures nous partons en vacances… J’ai tellement hâte. Nos premiers repos depuis cinq ans, tu te rends compte ? Deux semaines pour enfin oublier nos soucis. Nous concentrer sur nous…Rien que Nous !! Jacques, tu m’écoutes ?

 

Jacques était  un  petit homme  plutôt introverti. Il était toujours concentré sur les contingences de la vie et partait régulièrement pour ses déplacements professionnels. Il ne rigolait jamais. Il portait la moustache depuis ses premiers poils et était toujours obsédé par son paresseux prénommé Ruben.

            − Jacques !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

 

Le petit homme restait silencieux et semblait se désintéresser totalement de l’engouement de sa femme.

Qu’à cela ne tienne, Maeva n’allait pas s’arrêter à l’état grincheux de son époux. Et puis de toute façon, elle avait l’habitude. En effet, elle l’avait épousé cinq ans plus tôt et même le jour du mariage il n’esquissa aucune émotion. Mais Maeva était tombée amoureuse de Jacques au premier regard. Sans explication, sans aucune séduction de sa part, elle était complètement attirée par lui. Son entourage n’avait jamais compris son choix et ses parents encore moins. D’autant plus que cette idylle l’entrainait à sept mille kilomètres du domicile familial. Mais elle l’aimait son Jacques. Ses yeux noirs et son air ténébreux l’envoutaient à chaque instant. C’était comme ça. La seule chose qu’elle n’appréciait pas chez son moustachu, c’était Ruben. Un singe tropical avec un visage d’ange. Son sourire perpétuel n’était du qu’à sa morphologie innée. Une peluche extérieurement mais intérieurement : un animal sauvage, hargneux, autoritaire et très intelligent.

De toute façon, aujourd’hui, le seul événement qui comptait pour Maeva était son départ en vacances. Cinq années de travail acharné pour monter leur entreprise et première année où ils pouvaient se permettre de partir. Ce voyage était un cadeau des parents de Maeva. Ils étaient donc munis d’un carton brillant invitant Monsieur et Madame SANG pour deux semaines de plaisir à Awala-Yalimapo. Destination inconnue pour eux malgré  cinq ans de vie sur ce petit bout de terre français qu’est la Guyane.

 

            − Maeva, prends bien le Tupperware de bois canon de Ruben, je suis allé cueillir les feuilles ce matin.

 

Premier son de Jacques depuis ce matin six heures.  

            − Oui chéri c’est fait. J’ai également pris la lettre pour notre Thalya. J’espère qu’elle est heureuse avec son Ramon. Chéri, penses-tu  qu’elle est bien dans sa nouvelle vie ?

 Et tu n’emmènes pas de boulot hein ?

 

Thalya, jeune guyanaise de vingt trois ans, était une sublime femme chocolat aux formes parfaites, d’humeur toujours enjouée et une femme de ménage hors pair.

 

…. ♀♂ ♀♂  ♀♂  ♀♂…

 

L’heure du départ sonna. Maeva, Jacques et Ruben se rendirent tranquillement à Awala-Yalimapo. Petite bourgade de mille trois cent habitants à l’extrême nord- ouest du département.

Arrivés sur place, ils cherchèrent le numéro de rue inscrit sur leur invitation cartonnée. Cette rue était plutôt originale dans le sens où elle n’accueillait aucune maison. Rien, le vide sidéral hormis ce chemin de terre transpirant d’humidité locale. Maeva déterminée à vivre ses premiers quinze jours de vacances comme l’un des meilleurs moments de sa vie resta concentrée sur leur objectif. Après un bon quart d’heure de recherche ils tombèrent sur  une « maison »  en bois et construite de façon très artisanale.

De face, la maison ne proposait pas de porte et encore moins de fenêtre. Jacques, qui comme à son habitude ne disait rien, brossait tendrement Ruben et laissait Maeva se débrouiller à pénétrer dans leur « maison » de vacances.

Après acharnement et une motivation sans faille, Maeva trouva l’entrée. Pour cela, elle dut se frayer un chemin dans  l’immense végétation locale afin de se retrouver de l’autre coté du « pavillon ».  Son enthousiasme fut fortement entaillé quand elle vit l’entrée. De son coté, Jacques attendait toujours dans la voiture et se rendait aussi inutile que possible.

 

La seule ouverture existante était une double fenêtre boisée et quadrillée de carreaux sales. Elle comportait des aérations de forme sphérique. Son accès semblait fortement compromis car des planches de bois étaient horizontalement clouées sur cette délicieuse façade pourrie par l’humidité ambiante. Bref, cette maison était aussi accueillante que son cher Jacques !

            −  Merci mes chers parents pour ce merveilleux cadeau !!!!  Je sais que vous ne supportez pas mon départ à sept mille kilomètres avec monsieur grincheux mais quand même ! À trente ans il est bien temps que vous m’acceptiez telle que je suis !

 

Obstinée, Maeva, sefforça à retirer ces maudites planches. Après plusieurs essais non concluants elle alla chercher son cher mari.

            − JACQUESSSSSSSSSS ! Tu te bouges parce que là je t’assure que je vais craquer. Je te signale que c’est pour nous ces vacances. Pour sauver notre couple... Je n’en peux plus de ton comportement ! Zéro attention, zéro surprise, zéro prise de risque, zéro tâches ménagères et en sus zéro sexe !!! Donc là dans ton intérêt, zéro vacances serait irrévocable !!!Alors tu sors ton cul taille xxl, tu lâches ton idiot de singe et tu viens me défoncer cette putain de porte !

 

Le petit homme se leva, mit son trésor à poils sur son dos, prit dans le coffre une machette (toujours utile pour couper le bois canon de Ruben et éventuellement faire face à une hostilité locale) et se rendit devant l’entrée close.

Il semblait complètement insensible face à la situation et au désarroi de sa femme. D’un tempérament très calme il ôta méticuleusement chaque clou de chaque planche et après trente bonnes minutes d’efforts silencieux il ouvrit la porte à sa femme.

            − Ok, merci. Va me chercher nos bagages et on va peut-être enfin pouvoir essayer de passer quelques jours de quiétude.

 

Maeva se faisait une joie de vivre ses premiers quinze jours de vacances. Malgré l’incongruité de la situation, elle resta positive et rêva de retrouvailles complices et lascives…

 

La maison était anormalement propre, rangée et décorée avec un romantisme sans nom. Tapis moelleux et hibiscus fraichement coupés. De plus, une sublime coupe en feuilles tressées débordait de goyaves, papayes, ramboutans, et mangues murs à point. Maeva était émerveillée et ce premier moment de pur bonheur depuis des années embuait complètement l’indécence de la situation.

Jacques, fidèle à lui-même rentra stoïque mais sembla pour la première fois apaisé. Comme si ce lieu ne lui était pas inconnu, comme si ce lieu respirait d’onctueux souvenirs interdits.

Maeva, apaisée ôta délicatement son débardeur et alla se lover contre son époux. Réfractaire au début,  l’homme se laissa rapidement faire. Son air nonchalant et désinvolte n’entama en rien la fugue et le désir de sa femme. Ruben, une feuille de cecropia peltata coincée dans ses grandes griffes courbées  regardait la scène avec son sourire niais et hagard.

L’étreinte était de plus en plus forte, les corps transpiraient, le va et vient sensuel et sauvage qu’imposait Maeva faisait tressaillir les tapis couleur grenade. Ses petits seins pointaient sur la peau lâche et graisseuse de son infernal de mari. Elle sentait venir la jouissance. Elle le sentait près d’elle. Premier émoi depuis un an. L’assouvissement arriva et libera les deux corps mouillés. Jacques manifesta une émotion : le même sourire niais que son mammifère poilu.

Rapidement, sans un je t’aime, sans un sourire complice, sans un regard langoureux il se rhabilla et reprit le cours de la journée comme si de rien était. Maeva de son coté, encore toute engourdie de ce moment volé de complicité amoureuse se lança à la découverte de leur nouvel habitat.

 

 

…. ♀♂ ♀♂  ♀♂  ♀♂…

 

 

Un cri effroyable venant du fond de la maison se fit entendre. Maeva hurlait ses tripes, pleurait et gesticulait.

            Jacques Jacques !!!!!!!!!!!!!!!!!!  C’est horrible !!!!! JACQUES !!

 

Les toilettes évacuaient une odeur infâme. Le sang froid tapissait la petite pièce. L’horreur à son extrême paroxysme. Des poignées de cheveux crépus se noyaient dans l’hémoglobine.

Une femme nue, le ventre pendant comme si ses tripes avaient été arrachées, gisait. La tête dans la cuvette, à genou, prosternée, elle avait le cou sectionné. Un travail net et sans état d’âme.

Jacques, mal rhabillé, restait silencieux. Ruben quand à lui, était toujours posté sur son dos.

Maeva vomissait à quatre pattes sur la scène du crime. Les yeux à demi ouverts, elle vit un bracelet. L’or brillait tellement qu’il apportait une pseudo chaleur dans cette ambiance mortellement sarcastique. Elle reconnut le bijou. Une feuille de manguier ornée par ionisation. Un bijou offert à Thalya pour la remercier de ses quatre ans de service. Elle avait annoncé son départ il y a sept mois pour rejoindre son jeune brésilien, Ramon.

Maeva n’en croyait pas ses yeux. Son corps prostré l’empêchait d’exécuter quelques mouvements que se soient. Elle pouvait juste observer la terrible scène. L’entaille du cou de la princesse métisse était si profonde, si franche qu’elle prouvait la volonté démentielle du scélérat de supprimer la vie.

Toujours vautrée à terre, Maeva avait du mal à respirer. Elle se démenait pour obtenir l’aide conjugal mais Jacques ne bougeait pas. À travers le reflet du miroir de la rustre pièce,  elle pouvait voir l’air sournois et machiavélique de Ruben.

 

…. ♀♂ ♀♂  ♀♂  ♀♂…

 

D’un coup, Jacques explosa de rires et ne s’arrêta  plus. Première fois que Maeva voyait son époux rire. Cela était pourtant improbable de part l’horreur de la situation. Il pleurait de rire maintenant. Ruben semblait l’accompagner dans son délire funeste.

Il a assis sa femme qui baignait toujours dans cette étendue rouge noirâtre et puante.

Jacques semblait si expressif et si enjoué.

            − Ma chérie, mon amour, ma vie, Madame Sang Maeva ! Qu’elle petite idiote fais-tu !

Tu as signé pour le pire et pour le meilleur, et bien je t’apporte le meilleur sur un plateau.

Madame est servie. Toutes ces années à me tanner pour que j’exécute des actes romantiques, pour que je parle plus de mes émotions, pour que je t’écoute mieux, pour que je paye tous tes moindres caprices d’enfant gâtée. Et bien aujourd’hui pour nos premières vacances je m’ouvre à toi comme je ne l’ai jamais fait. C’était bien cela ton souhait le plus cher ? Figures-toi que Thalya a été une maitresse formidable pendant toutes ces années. Elle était ouverte, délicieuse, et ne me demandait rien. J’étais un homme comblé.

Et puis ces derniers temps, elle a commencé à me parler sentiments, fidélité et bien pire : mariage et enfant !!!!! Elle devenait comme toutes ces femmes : de vraies garces puantes de demandes cruelles. Pourquoi devons-nous toujours être à votre disposition ? Pourquoi ne pouvons nous pas vous baiser tranquille? Pourquoi toujours des questions, des demandes et des rêves ? Vous ne pouvez pas fermer votre gueule et vous laisser faire comme cela devrait être ? Cela ne l’a pourtant pas dérangée de se faire sauter dans notre propre maison, dans le domicile de sa très chère amie, toi, Maeva. Haaa, je me gausse de la situation.  Les femmes sont tellement plus vicieuses que nous.

Je l’ai donc emmenée ici il y a quelques temps. Endroit cosy ne trouves-tu pas ? C’est ton père qui me l’a conseillé. Marrant n’est ce pas ? Et oui,  je ne suis pas le seul à en avoir eu marre de toutes ces maîtresses si peu obéissantes.

Et tu sais le plus fou mon ange ? Cette garce de Thalya avait osé s’engrosser pendant nos somptueux rapports. Alors, lorsqu’à trois mois de grossesse elle m’annonce qu’elle a osé procréer dans mon dos, j’ai décidé de l’enfermer ici. Durant sept mois j’ai continué à la baiser mais son ventre me donnait de plus en plus envie de vomir. J’ai donc du me venger de tout le mal qu’elle m’a fait subir.

Et puis avant-hier elle a commencé à avoir des contractions. Elle m’a demandé de l’aider car je ne pouvais pas abandonner « notre » enfant. Elle m’a annoncé qu’elle voulait que nous soyons une famille normale…Elle m’a dégouté. À peine le temps d’arriver sur place qu’elle était déjà mère…. J’étais vraiment hors de moi qu’elle m’ait fait cela. Je lui ai donc soigneusement arraché  son enfant gluant de son corps difforme. Au préalable, j’ai bien entendu délicatement coupé le cordon avec ma super machette « coupe tout ». Et oui ma puce,  je suis un homme délicieux,  je m’entiche de cet acte que vous trouvez si émouvant et si paternaliste. Encore une de vos conneries qui nous empoisonne l’existence. Dans mon acte héroïque je n’ai pas eu le courage de le tuer, je l’avoue. Mais je me suis dit qu’il mourra assez vite enfermé dans la cave de cette si charmante demeure. Et puis elle m’a saoulé, elle hurlait tellement, geignait sans arrêt  et ne ressemblait plus à rien. Alors comme Ruben était de mon avis (au moins un qui en vaut la peine) je l’ai tranchée avec ma lame « coupe tout ».

Hum que c’est bon de te parler. D’être si proche de toi. Tu voulais qu’on soit complice, que je te dise tout, que je t’ouvre mon jardin secret, et bien mon amour je te l’offre en mille.

 

Maeva, choquée, épouvantée par l’homme cruel qu’elle venait de découvrir commença à bouillonner de colère. Elle eu la force de se lever et avec le même silence habituel de son cher et tendre époux elle arracha Ruben de son propriétaire.

Le singe poilu ne se débattit pas, et sa lenteur ancestrale ne jouait pas en sa faveur.

Enragée et silencieuse elle prit la patte de l’animal et planta ses griffes aiguisées de sept centimètres dans la gorge de son mari.

L’acte fut rapide et Jacques n’eut pas le temps de s’exprimer qu’il tomba au sol égorgé et noyé dans sa détresse insatiable.

Maeva reposa Ruben et son sourire sournois, mais satisfait. Elle ouvrit la porte et ses planches explosées et rendit la liberté à ce singe qui lui avait été pour la première fois d’un grand secours.

Maeva se précipita dans la cave. Le nouveau né gisait sur le sol mais était en vie.

Elle le prit dans ses bras et le colla contre sa peau chaude. Sa respiration s’adoucissait au fil des minutes passées dans les bras de cette mère salvatrice. Une chance semblait débarquer dans l’existence de ce petit être sans défense. Un souffle de vie était né.

Léna Ration, octobre 2012

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